Autant en emporte le vent jugé révisionniste
Adapté d’un roman de Margaret Mitchell, Autant en emporte le vent raconte l’histoire de Scarlett O’Hara, une belle du sud des États-Unis dont les parents possèdent une plantation en Géorgie. Le récit couvre notamment la guerre de Sécession, puis les années de reconstruction suivantes.
C’est un récit initiatique qui voit Scarlett passer de l’adolescence à l’âge adulte, se marier, devenir mère – et grandir. C’est aussi une histoire de survie, de romance, et, naturellement, un roman qui se veut historique. C’est, malheureusement, un portrait nostalgique du Sud, une oeuvre de la “Cause perdue” qui fait des soldats confédérés des modèles d’une chevalerie perdue défendant leur culture et leurs traditions.
Le saviez-vous ?
Ce rôle est notamment incarné par le personnage d’Ashley Wilkes, incarné par Leslie Howard et amour secret de Scarlett durant tout le récit. Gentleman, loyal, honorable, il est l’incarnation de la “tragédie du Sud”.
Ce faisant, Autant en emporte le vent dépeint, c’est vrai, une vision très romantique de l’esclavage et du Sud. Les employés de la plantation semblent heureux de leur sort, sont décrits comme très attachés à leur famille, au point que leur terrible statut d’esclaves passe au second-plan. Ils sont loyaux, dévoués, et demeurent avec leurs maîtres même une fois émancipés.
Le roman et son adaptation cinématographique ont donc tous deux été critiqués pour ce portrait de l’esclavage, leur racisme, leurs préjugés et leurs stéréotypes. Des parallèles ont notamment été tirés entre Autant en emporte le vent et Naissance d’une nation, sorti en 1915 et donc le caractère ouvertement raciste – et notamment son apologie du Ku Klux Klan – fut à l’origine d’émeutes protestant contre sa projection.
Ne pas retirer une oeuvre de son contexte
Tout cela est donc vrai : Autant en emporte le vent donne à lire et à voir une vision bien édulcorée de l’esclavage et de la condition des Noirs dans le sud des États-Unis. Mais l’oeuvre doit aussi être replacée dans son contexte.
Margaret Mitchell, elle-même originaire de Géorgie, rédige le livre pendant les années 20 et le publie en 1936, alors que le pays est en pleine Grande Dépression, dans un contexte de montée des extrémismes et du fascisme. En 1936, en Allemagne, Hitler a pris le pouvoir et remilitarise la Rhénanie. En Espagne, c’est le début de la guerre civile. En Italie, Mussolini occupe une partie de l’Éthiopie.
Le film de Victor Fleming, lui, sort en 1939, soit au début de la seconde Guerre Mondiale. Porté par Clark Gable et Vivien Leigh, il fut un immense succès. Le livre avait été un best-seller et valu un Pullitzer à Mitchell ; le film fut récompensé par dix Oscars (dont le premier Oscar attribué à une personne de couleur) et est toujours le plus grand succès de l’histoire du cinéma, en prenant en compte l’inflation.
Révisionniste, Autant en emporte le vent ? Certainement. Mais quels que soient les reproches que l’on puisse lui faire, il n’en reste pas moins un incroyable produit de son temps – et une formidable porte sur son époque. Déjà parce que son succès nous indique qu’il a su correspondre aux mœurs de son temps et répondre aux attentes de ses contemporains.
Outre que dans la forme il s’agit d’un grand film et d’un grand livre, Autant en emporte le vent est donc un produit historique et culturel qui ne mérite pas la censure – malgré son fond et son propos. Quoi qu’elles disent, quoi qu’elles montrent, il est hors de question de tourner le dos à des productions culturelles qui, aujourd’hui, nous froissent.
D’abord, bien sûr, parce qu’il ne faut certainement pas les retirer de leur contexte. Ensuite, et surtout, parce que ce serait nier une partie – même scandaleuse – de notre Histoire.
HBO remettra Autant en emporte le vent dans son catalogue… un jour
Heureusement, HBO a annoncé ne pas retirer Autant en emporte le vent de sa plateforme ad vitam aeternam. Le film fera un jour son retour, accompagné d’une contextualisation permettant de le resituer. HBO n’a cependant pas donné de date ni développé sur la nature de cette contextualisation.
“Neither love nor terror makes one blind: indifference makes one blind.” – James Baldwin
We stand with our Black colleagues, employees, fans, actors, storytellers — and all affected by senseless violence. #BlackLivesMatter
— Max (@StreamOnMax) May 31, 2020
Une certitude demeure : nous ne pouvons pas tourner le dos à notre Histoire. Au contraire, nous devons mieux la comprendre, mieux l’enseigner. C’est elle qui nous a menés là où nous en sommes aujourd’hui. Et la censurer serait l’oublier.
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