Des similitudes entre le sport et l’e-sport
C’est un fait, “joueur de jeux vidéos” est devenu une profession. Une profession particulière, sans aucun doute, mais une profession quand même. Ceci étant dit, être un professionnel ne signifie en rien être un sportif.
Même si on passe outre l’évidente proximité sémantique entre les deux mots, il serait difficile de nier que l’e-sport et le sport ont de nombreux points communs. Certes l’effort physique n’est pas aussi intense dans l’e-sport, mais ce critère n’a jamais été déterminant sinon comment expliquer que les échecs, le carrom ou le bridge soient des sports ?
Le sport est défini comme un ensemble d’exercices physiques (adresse mentale et coordination comprises) individuels ou collectifs. Cet ensemble doit être encadré par un règlement et orienté vers la compétition. À cette définition s’ajoutent différents facteurs comme les valeurs véhiculées, le spectacle, etc. Qu’en est-il de l’e-sport ?
Un dépassement de soi au cœur des pratiques
Depuis l’Antiquité, le sport et la compétition sont un moyen de se dépasser. En effet, le fil rouge reliant tous les sports, du plus populaire au moins plébiscité, c’est cette volonté des athlètes de réaliser une performance inaccessible pour la majorité des gens. Pour y parvenir, un sportif professionnel dévoue ses journées à l’entraînement.
Compétitif par nature, l’e-sport a érigé le dépassement de soi comme un leitmotiv auquel les joueurs professionnels souscrivent en s’astreignant à un entraînement et une discipline de fer. Preuve du sérieux de la démarche, de plus en plus de sportifs intègrent le monde de l’e-sport, à l’instar du double champion olympique de natation Yannick Agnel devenu le directeur sportif de l’équipe d’e-sport MCES et de son académie.
Soumis à la pression de la compétition, à la contrainte des entraînements et aux risques de blessures (troubles musculo-squelettiques et douleurs articulaires), les pratiquants de l’e-sport sont aussi proches des joueurs amateurs que les footballeurs professionnels le sont des licenciés du club de loisir local.
Sport électronique et sport traditionnel, offrir un spectacle avant tout
La similitude entre les pratiques des professionnels du sport et de l’e-sport n’est pas le seul point commun entre les deux phénomènes. Il est vrai que le sport est également une question de spectacle. Ce dernier a pour but de véhiculer des valeurs positives en offrant une représentation à un public.
Dans le milieu du jeu vidéo où le marketing occupe une place de choix, l’e-sport offre déjà des spectacles qui rivalisent (voire dépassent) ceux offerts par le sport traditionnel. Avec un nombre de spectateurs déjà conséquent et une croissance rapide de l’audience (+20% chaque année), l’e-sport sait organiser le “show”.
Né avec la démocratisation d’Internet, l’e-sport bénéficie de supports de diffusion que le sport traditionnel peine à investir. Par exemple, la plateforme Twitch (site de retransmission de vidéo en direct), qui couvre la majorité des événements de l’e-sport, permet à des utilisateurs partout sur la planète de suivre gratuitement les compétitions sur leur télévision, ordinateur, tablette ou smartphone.
Si on parle d’engouement du public, certes les chiffres de l’e-sport sont encore loin d’égaler une coupe du monde de football ou les Jeux Olympiques, mais ils progressent suffisamment vite pour qu’une corrélation puisse être établie entre sport traditionnel et sport électronique.
L’e-sport, des spécificités très éloignées du sport
Assurément, e-sport et sport classique partagent des similitudes évidentes. Toutefois, si la réalité était aussi simple que ça, la question serait réglée depuis longtemps. Aussi proches que puissent paraître ces deux disciplines, on ne peut effacer le fait que des différences majeures scindent encore les deux pratiques.
Une pratique fondée sur le commerce
L’engouement autour de l’e-sport ne doit pas faire oublier que ces compétitions sont avant tout des événements promotionnels. En effet, les enjeux financiers derrière ces tournois sont là pour nous rappeler que derrière chaque jeu se trouve un éditeur.
Pratiquer une compétition sur Overwatch, Counter Strike ou League of Legends est d’abord une pub pour les créateurs de ces jeux. À l’inverse, même si le sport traditionnel est sponsorisé (l’e-sport également d’ailleurs), jouer au football n’est pas une pub pour une entreprise en particulier.
Cette logique marchande pose un gros problème dans la reconnaissance de l’e-sport comme un sport à part entière. D’ailleurs en 2018 la plus grande autorité sportive, le Comité International Olympique (CIO), refusait d’intégrer le jeu vidéo aux Jeux Olympiques car pour le moment “Le secteur est axé sur le commerce alors que le mouvement sportif repose, lui, sur des valeurs”*.
Un manque d’encadrement
À n’en point douter, le sport véhicule (ou du moins tente de le faire) des valeurs positives de respect et de tolérance. Il n’y a qu’à se pencher sur les sanctions que les fédérations n’hésitent pas à donner aux clubs ou aux joueurs dont le comportement est insultant ou irrespectueux.
Malheureusement, dans l’e-sport, certaines attitudes nocives restent très présentes. Pour commencer, dans le monde du jeu vidéo règne un certain sexisme car la communauté, bien que cela change très rapidement, était majoritairement composée d’hommes.
De même, les propos racistes, homophobes ou agressifs ont du mal à être encadrés et sanctionnés par des instances non-officielles (souvent dépendantes des éditeurs) rapidement dépassées.
Certaines sanctions exemplaires ont fait beaucoup de bruit, comme lorsque Twitch a banni le joueur professionnel Mickalow pendant 2 semaines suite à une blague raciste. Peu de temps après un autre professionnel du jeu vidéo, FaZe Jarvis, s’est vu exclure à vie du jeu Fortnite par ses créateurs Epic Games après un cas de triche.
Certes ces sanctions sont méritées, mais en réalité elles traduisent la difficulté avec laquelle le milieu du jeu vidéo peine à instaurer un climat sain au sein de sa communauté. Pourtant, avant de pouvoir prétendre être un sport, l’e-sport va être obligé de faire évoluer les mentalités. Une révolution qui commence à peine et qui devrait prendre du temps.
Quelle est la véritable question ?
La considération de l’e-sport comme un sport à part entière agite les médias, le monde du jeu vidéo et celui du sport depuis quelques temps maintenant et aucune réponse claire n’est venue trancher le débat. Et si finalement la question n’était pas là ?
En réalité, ce qui importe ce n’est pas de savoir si le sport électronique est un vrai sport ou non. Effectivement, pour le moment l’e-sport ne semble pas prêt à devenir un sport à part entière malgré les similitudes avec ce dernier. La vraie question à se poser est pourquoi cette question est si importante en France aujourd’hui ?
Trop occupé à défendre une opinion, il semble qu’on ait oublié de se demander quels en sont les enjeux. Puisqu’en définitive les joueurs n’ont pas attendu l’approbation du milieu sportif et que ce dernier se passe volontiers du jeu vidéo, le débat doit être plus profond.
S’approprier le rayonnement culturel du jeu vidéo
Ce n’est un secret pour personne, dans un monde globalisé le rayonnement culturel d’un pays est un atout majeur de son développement. La littérature, le cinéma, la musique, la gastronomie ou le jeu vidéo sont autant d’armes dont les États se servent pour être attractifs.
Ville la plus visitée d’Europe (plus de 19 millions de touristes l’an dernier) et deuxième ville la plus visitée au monde, Paris mise énormément sur son impact culturel mondial. Ayant accueilli la finale du championnat du monde de League of Legends, la ville de Paris entend devenir la capitale européenne de l’e-sport d’ici les JO de 2024.
La raison est simple, dans sa forme actuelle l’e-sport est aux mains d’entreprises privées internationales (comprendre américaines ou asiatiques). Néanmoins, si le sport électronique devient un sport à part entière, la France (grande consommatrice de jeux vidéos) pourrait tirer son épingle du jeu.
Diplômes spécialisés subventionnés, centres de formation nationaux, stades financés par les politiques publiques, il est bien plus simple de capitaliser sur un sport que sur un phénomène marketing.
La menace de l’explosion de la bulle
Si l’e-sport soulève déjà d’énormes sommes d’argent, il faut se méfier du retour de flamme. Aujourd’hui, la majorité des investisseurs misent sur la croissance du sport électronique. Pourtant, après un départ sur les chapeaux de roues, l’avenir s’annonce-t-il aussi radieux ?
S’adressant aux joueurs du monde entier l’e-sport touche beaucoup de monde, mais pour le moment, seule une petite partie de la communauté s’intéresse aux compétitions. Pour fédérer les joueurs restants, il faudra trouver de nouvelles façon d’attirer le public et simplifier le langage spécialisé (qui reste hermétique aux néophytes).
Autant de transformations que l’e-sport ne prévoit pas du tout. L’argent continuant de couler à flot, la possibilité de retour sur investissement s’amenuise de jour en jour laissant entrevoir la possibilité de voir la bulle “e-sport” éclater en vol. Dans ce contexte, réussir à faire de l’e-sport un “vrai” sport devient un enjeu financier visant à pérenniser un investissement.
En définitive, il semble que l’e-sport ne soit pas encore tout à fait prêt à devenir un sport traditionnel. Si les similitudes sont fortes entre les deux pratiques, les différences le sont encore tout autant. Cependant, cette institutionnalisation semble davantage tenir à des intérêts financiers qu’à un vrai débat sur l’éthique sportive.
*source : https://www.olympic.org/fr/news/communique-du-sommet-olympique-1
Commentaires